Jean-Michel Hélary
Éléments sur la vie et l'œuvre d'Henri pitot (1695-1771)
D’après Pierre Humbert
Henri pitot est une des grandes figures languedociennes du 18ème siècle. Autodidacte, c’est aussi un personnage hors du commun. Par son action sur les rivières, les canaux, les marais, les routes, les ponts, les aqueducs, il a contribué à façonner la physionomie actuelle de sa province natale. De plus, ses travaux d’ingénieurs ont été précédés d’études théoriques de très grand intérêt, en mathématique, mécanique, hydraulique, etc. On donne successivement quelques éléments sur sa biographie, ses mémoires scientifiques, et son activité régionale.
I. – Biographie
Henri pitot naît à Aramon le 31 mai 1695, dans une famille de la petite bourgeoisie (son père est notaire), cinquième enfant d’une famille qui en comptera dix. On dit qu’un «prophète» prédit qu'il ferait honneur à sa famille.
On l'envoie commencer ses études au collège des Doctrinaires de Beaucaire, ville d'origine de sa mère. Là, il se montre très mauvais élève, délibérément hostile à l'éducation gréco-latine telle qu'on la concevait alors.
Devant ce refus systématique de tout effort vers les études qu'on voulait lui imposer, son père lui fit signer un engagement dans l'armée dès qu'il eut l'âge requis. Il rejoint le régiment Royal-Artillerie, où l'un de ses frères est officier, dans les Alpes, puis est envoyé à l' École d'artillerie de Grenoble. C'est là que vers la fin de l'année 1713, à l'âge de dix-huit ans, il découvre par hasard, dans une librairie, un livre de géométrie. C'est la révélation fulgurante. Il comprend que cette discipline, qu'on ne lui avait pas enseignée à Beaucaire, est faite pour lui.
En 1714 la paix de Rastadt le ramène dans ses foyers et son engagement est terminé. Il se lance alors, en autodidacte, dans la lecture de toute sorte d'ouvrages scientifiques en mathématiques, astronomie, physique, etc. Il construit aussi divers objets : mappemonde, cadran solaire, et surtout, dans la tour de la maison familiale d’Aramon, un observatoire dans lequel il passe la plupart de ses soirées. Finalement son père, comprenant qu'Henri avait trouvé sa voie, le fait «examiner» par un abbé, compétent en la matière. Impressionné, ce dernier recommande d'envoyer le jeune Henri étudier à Paris.
Les années parisiennes
En 1718, le voilà parti pour Paris. Grâce à la marquise d'aramon - une relation de son père - il est accueilli par réaumur, le grand physicien et entomologiste. Auprès de lui, il approfondit ses connaissances scientifiques, notamment en hydraulique. Pour gagner sa vie, il candidate à l'Académie des Sciences qui, à l'époque, recevait aussi de jeunes chercheurs débutants - un peu comme le CNRS aujourd'hui. En 1722 il dépose un mémoire dans lequel il calcule, à la seconde près, la durée d'une éclipse de soleil qui doit avoir lieu en ... 1724. Ses calculs prédictifs se révèlent exacts, si bien que, cette année là, il intègre cette institution comme «adjoint méchanicien» (et non pas astronome, disponibilité de poste oblige!). Il y restera jusqu'en 1742, montant progressivement en grade. Dix-huit années pendant lesquelles il produira de nombreux travaux en astronomie, géométrie analytique, hydraulique, etc. Son ouvrage «Théorie de la manœuvre des vaisseaux» publié en 1741, notamment, le rend célèbre; la traduction en anglais lui vaut d'être élu à la Société Royale de Londres. Neuf ans auparavant, en 1732, il avait inventé le fameux «tube de Pitot» qui permet de mesurer la vitesse de l'eau courante et qui, adapté à l'air, est toujours utilisé aujourd'hui en aéronautique. Il joue aussi un grand rôle en aidant son mentor réaumur; en conseillant des inventeurs plus ou moins inspirés; il se lie d'amitié avec voltaire, dont il ne partageait pourtant pas les convictions.
Il se marie en 1735 (à l'âge de quarante ans), et il a deux fils dont l'un meurt à l'âge de cinq ans. Le second, né en 1740, deviendra juriste, premier avocat général à la Cour des Aydes de Montpellier, mais n'aura pas d'enfant. Henri pitot ne sera donc pas grand père!
Retour au pays
En 1740 l’Archevêque de Narbonne, président des États de Languedoc, demande à Henri pitot d’examiner un projet d’assèchement des marais du littoral de la région d’Aigues-Mortes. Satisfaits de son expertise, les États proposent à Henri, un an plus tard, le poste de Directeur du Canal Royal du Languedoc et des travaux publics dans la sénéchaussée de Nîmes. Henri accepte et, en 1742, il quitte Paris avec le titre de «pensionnaire vétéran de l’Académie des Sciences». Il se fixe à Montpellier. Il ne quittera plus le Languedoc, sauf pour de rapides voyages à Paris. Ses responsabilités sont écrasantes : il joue à la fois le rôle d'un ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, d'un ingénieur du Génie Rural, d'un conservateur des Eaux et Forêts! Ceci l'oblige malheureusement à renoncer à ses études théoriques de géométrie, hydraulique, astronomie. Mais il continue à correspondre avec son bienfaiteur réaumur, et lui rend service en lui fournissant des spécimens de la faune de Camargue et des côtes méditerranéennes (réaumur est aussi entomologiste).
Ces activités l'obligent à de nombreux déplacements dans la région et l'épuisent. En 1755, première alerte de santé : fluxion de poitrine et crachements de sang. Bien soigné (à Montpellier, déjà!) il guérit mais reste fragile, sans pour autant diminuer ses activités; par exemple, en 1764 (à l'âge de 69 ans!) il voyage à Paris et pousse jusqu'à Saint-Gobain (dans l'Aisne) pour visiter la Manufacture Royale des Glaces et produire un rapport à l'Académie des Sciences donnant des détails précis sur le travail du verre, le carrelage, le soufflage des glaces et l'historique de cette manufacture ... encore un autre sujet abordé par pitot!
Mais deux ans après, à 71 ans, il est forcé de prendre sa retraite et se retire dans sa maison d'Aramon. Dès lors il se consacre à des activités de retraité : construction de modèles réduits de machines hydrauliques, expériences de physique, calculs d'astronomie, soins de son jardin et lecture ... y compris, enfin, de textes en latin!
Quant à l'ouvrage qui nous intéresse, l'aqueduc Saint Clément, il y a travaillé de 1752 jusqu'à son achèvement en 1765 - un an avant sa retraite, donc.
Le 27 décembre 1771, à l'âge de 76 ans, il meure épuisé par sa maladie. Il est enterré dans l'église des Récollets d'Aramon, mais ses ossements furent, avec d'autres, transportés dans une fausse commune lorsque l'église fut désaffectée en 1837. Plus rien ne signale sa sépulture!
II. Travaux
Travaux Scientifiques
Un bref résumé, en évitant d’être trop technique! Mais pour donner une idée de la richesse de ces travaux, on peut en retenir trois, les plus importants historiquement. Notons tout de même que, durant ses dix-huit années passées à Paris, il a publié au moins une ou deux communications par an.
1. «Sur la quadrature de la moitié d'une courbe qui est la compagne de la cycloïde» (1724). Malgré ce titre barbare pour le commun des mortels, il s'agit là de la première étude d'une courbe non plane (courbe «gauche»), à savoir l'hélice, effectuée à l'aide de méthodes de géométrie analytique, c'est-à-dire utilisant le calcul différentiel et intégral (discipline tout à fait nouvelle à l'époque). En cela, pitot apparaît comme un précurseur des grands mathématiciens comme clairaut ou monge.
2. «Description d'une machine pour mesurer la vitesse des eaux courantes» (1732). C'est ce mémoire qui a permis à pitot de laisser son nom à une invention : le « tube de Pitot ». Il a trait à l'hydraulique. Cet appareil, tout à fait simple, est un tube recourbé qui, plongé dans l'eau, permet de mesurer la vitesse du courant, simplement en regardant à quelle hauteur l'eau est montée dans la partie verticale du tube! Universellement adopté, il est toujours en usage, aussi bien en hydraulique qu'en aérodynamique - ce sont notamment des appareils basés sur ce principe qui équipent les avions pour mesurer leur vitesse.
3. «Théorie de la manœuvre des vaisseaux» (1741). Dans cet ouvrage de 119 pages (plus des tables numériques), pitot s'intéresse à la manœuvre des bateaux, plutôt qu'à leur pilotage. Il étudie notamment quelle est la situation la plus avantageuse de la quille et des voiles par rapport à la direction du vent, puis traite de la théorie de la dérive, de la rame, du gouvernail. Enfin, il expose la résolution de problèmes pratiques.
Travaux en Languedoc
On peut les répartir dans cinq grands domaines : assèchement des marais; fleuves, rivières et canaux; routes et forêts; ponts; aqueducs. Ci-dessous, un condensé de ses contributions.
1. Marais.
Cette question a été la cause de son retour en Languedoc. Le projet comportait l'assèchement de marais entre Beaucaire, Aigues-Mortes et Mauguio et la construction de canaux de Beaucaire à Aigues-Mortes et d'Aigues-Mortes aux salins de Pecais et à l'étang de Mauguio. La solution de l'assèchement pur et simple semble s'imposer de prime abord. Mais, là encore, pitot fait preuve d'une grande clairvoyance, et se révèle comme un grand précurseur ... écologiste! Il constate en effet que les terribles crues du Vidourle ou du Rhône, ainsi que l'envahissement des étangs par les eaux de mer, ont un effet bénéfique en ce sens qu'elles assainissent les marais voisins. Il préconise donc l'assèchement des marais les plus insalubres, mais en laissant au Rhône et au Vidourle la capacité d'inonder ceux qui avoisinent leur embouchure et aux eaux de mer la facilité de pénétrer par les graus (dont le Grau du Roi) qu'il conviendra d'entretenir.
D'ailleurs, en 1746, il confirme ces idées novatrices dans un mémoire à l'Académie des Sciences de Montpellier «Observations sur les causes des maladies mortelles qui règnent sur les côtes de la mer du Bas-Languedoc». C'est un travail très important pour l'histoire et la géographie locales, basé sur une enquête de terrain auprès d'habitants, notamment des curés et des consuls. On y trouve des statistiques sur la mortalité due aux fièvres, à Aigues-Mortes, mais aussi à Frontignan. Il réaffirme ses idées sur le bienfait des inondations côtières et s'oppose d'ailleurs aux pêcheurs de Frontignan qui voulaient refermer un grau naturel près de Maguelonne.
2. Fleuves, rivières et canaux.
Les réalisations de pitot dans ce domaine portent essentiellement sur la lutte contre les crues. Les archives de l'Hérault sont pleines de procès-verbaux et récits de visite portant sa signature. Il intervient à Remoulins (Gardon), Alais (aujourd'hui Alès), sur l'Orb, le Vidourle, le Gardon d'Anduze. Mais c'est surtout le Rhône qui constitue l'ennemi. S'appuyant sur les données fournies par les riverains, il rédige un important travail sur ses crues. Il s'emploie sans compter à améliorer la situation des villages riverains périodiquement dévastés : grâce à lui, Roquemaure, Pont-Saint-Esprit, Vallabrègues ont été, pendant de nombreuses années, à l'abri. Parfois, ces aménagements sont mal vus de certains habitants et il lui est arrivé d'être très mal accueilli (comme à Pont-Saint -Esprit, en 1744).
3. Routes et forêts.
pitot s'est beaucoup intéressé à l'entretien des routes - notamment pour l'exploitation des forêts, et en a fait établir de nouvelles. Il réalise une étude très serrée pour le tracé de la route d'Auvergne, reliant Alès au Puy et Clermont-Ferrand. Il préconise l'itinéraire par Saint Ambroix, Joyeuse, Aubenas - contre celui par Genolhac et Villefort. L'Intendant de Languedoc reconnaît le bien-fondé de ses propositions, mais elles ne sont pas retenues car l'autre tracé avantageait un marquis local pour la vente de son bois ...
Mais une de ses œuvres capitales fut le rétablissement des pierres milliaires, bornes utilisées par les romains pour jalonner leurs voies mais qui avaient disparu. Sur la route de Montpellier à Nîmes, il fait planter 25 pierres (tous les tiers de lieue, environ 2km) en forme de prisme quadrangulaire ayant environ 1m30 de haut (et 1m50 sous terre).
4. Ponts.
Ce fut une de ses grandes occupations. Déjà, dans ses années parisiennes, il avait travaillé au pont de l'Isle-Adam. En Languedoc, on peut citer notamment :
- restauration du pont romain sur le Vidourle, à Sommières;
- consolidation du célèbre pont Saint Esprit sur le Rhône;
- construction d'un pont à 52 arches traversant l'étang de Thau (entre Sète et La Peyrade) - il n'en reste que des vestiges
- construction du pont sur l'Ardèche entre Pont-Saint-Esprit et Bourg-Saint-Andéol (détruit) et sur l'Eyrieux au nord de La Voulte-sur-Rhône (détruit en 1944)
- et surtout, le fameux pont routier qui double le Pont du Gard, accolé sur sa façade Est. Soucieux de ne pas défigurer le célèbre pont-aqueduc romain, il aurait préféré que le Gardon fut franchi plus en aval, près de Remoulins. Mais les difficultés étaient trop grandes : aujourd'hui, à cet endroit, c'est un pont suspendu (technique inconnue au XVIIIème siècle) qui franchit le fleuve. Reconnaissons qu'il a fait de son mieux pour que son ouvrage ne défigure pas trop son superbe voisin.
5. Aqueducs
Ces grandes connaissances de l'hydraulique, et ses talents d'architecte, devaient évidemment le conduire à s'intéresser à la construction d'aqueducs pour alimenter les villes méridionales. Déjà, Carcassonne lui doit les plans de son ravitaillement en eau, mais il n'a pas participé lui-même à la construction. Par contre, il a mené à bien, et de façon absolument remarquable, la construction de l'aqueduc Saint-Clément à Montpellier. C'est son œuvre la plus célèbre et la mieux réussie.
C'est en 1752 (à l'âge de 57 ans) que pitot reprend le projet initial d'amener à Montpellier les eaux de la source de Saint-Clément, établi en 1712 par l'ingénieur clapier, mais jamais réalisé. Il a exposé ses plans à la Société Royale, dans un mémoire de grand intérêt. Le trajet établi par pitot s'écarte assez sensiblement de celui de clapier, plus long mais évitant la construction de certains travaux d'art. Il a une longueur de 7 134 toises (soit 13 904m.) et le réservoir, à la source de Saint-Clément, est à 9m.36 au-dessus du château d'eau du Peyrou. Dans la campagne, l'aqueduc est tantôt aérien (avec quelques beaux ponts comme celui de la Lironde), tantôt souterrain, avec, de distance en distance, quelques regards et, comme sur les routes, des bornes - non pas milliaires, mais environ tous les 50 mètres. Il aboutit enfin au chef-d'œuvre auquel pitot apporta tous ses soins, faisant appel à toute sa science architecturale et à son habileté d'hydraulicien, l'aqueduc des Arceaux, inspiré du Pont-du-Gard. Long de 880m., comprenant 53 grands arceaux et 183 petits, il atteint la hauteur maximum de 28 mètres. Quoique déjà épuisé par la maladie, pitot y travailla treize ans. Il fut récompensé de ses efforts à cette date du 7 décembre 1765 où, pour la première fois, les eaux de Saint-Clément parvinrent jusqu'à Montpellier. L'eau qui, d'après les calculs de pitot devait arriver à une heure donnée, ne fut pas tout à fait exacte au rendez-vous, mais les eaux s'élancèrent finalement dans le bassin du château d'eau avec seulement une demi-heure de retard! Sur un trajet de près de 14km, on peut mesurer l'exploit!
Conclusion
pont de la Peyrade 52 arches pourrions nous savoir SVP ou trouver des renseignements sur sa construction merci
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